Cet article a pour but de vulgariser des concepts afin de partager des connaissances, et surtout, générer des discussions et des échanges. L'idée et la mise en page derrière cet article ont été fortement inspirées par l'excellent blog « A List Apart ».
Bertrand Lirette travaille (entre autres) présentement comme technicien en travaux d'enseignement et de recherche pour le baccalauréat en design graphique à l'Université Laval à Québec. Il essaye de stimuler la connaissance des étudiants face à l'interface et l'interactivité en donnant des laboratoires dans le cours universitaire Interface et interactivité. Il a appris la technique en techniques d'intégration multimédia au Cégep de Sainte-Foy et a peaufiné ses connaissances en intégration, programmation et charge de projet pendant plus de 5 ans en agence de publicité chez Triomphe communication marketing. Il partage les valeurs du Breakdance (bboying) et passe beaucoup (trop) de temps dans l'organisme à but non lucratif qu'il a fondé, Québec B-Boys.
Suggestions / commentaires?
hey@bertrandlirette.com
Non, je ne parle pas de Google Glass ou de la Apple Watch. C’est le genre de commentaires qu’on pouvait entendre au début des années 80 lors de la sortie des premiers écouteurs de Sony. Je ne sais pas pour vous, mais je n’entends pas ce genre de commentaires aujourd’hui. C’est même plutôt le contraire. Les écouteurs sont même devenus un autre véhicule publicitaire.
Le comportement des gens face à une nouvelle technologie, encore plus lorsque vient le temps de la porter, a toujours suscité de vives réactions, encore plus lorsqu’il est le temps de la porter. Les technologies changent, les gens s’y adaptent, c’est une question de temps. Sauf pour l’oreillette Bluetooth. Un client au supermarché avec son oreillette Bluetooth le samedi matin, je vais toujours trouver cela bizarre.
Évolution de l’informatique
Laissez-moi vous parler d’Osborne 1, un des premiers ordinateurs portables commerciaux ayant connu un succès. Construit en 1981, il avait un poids de 23 livres. Plusieurs auraient pu trouver l'idée ridicule. La technologie n'en était simplement qu'à ses débuts. Certains ont pu voir en ce produit une réponse à leur besoin.
Une dizaine d’années plus tard, Apple mettait en lumière sa dernière création, le Newton. N’affichant qu’une livre et demie sur la balance, un écran noir et blanc d’une définition de 336 par 240 pixels, il était loin de rivaliser avec ce que notre futur iPhone allait nous offrir. C’était tout de même le début de l’échange de données par modem. Les années ont eu raison de ce produit, dont plusieurs ont attribué son échec commercial au fait qu’il soit arrivé avant son temps. Certains ont toutefois vu en le Newton de nouvelles possibilités: on pouvait échanger des données sur la route, nous pouvions maintenant travailler sur la route et nous n’étions plus restreints à notre bureau. C'est le contexte d'utilisation et les fonctionnalités de l'appareil qui amenaient de nouvelles possibilités. Nous n'étions plus dépendants de l'ordinateur de table. Et on ne parle pas ici de remplacer les appareils que nous avons déjà. Simplement de les complémenter.
Contexte et fonctionnalités
À l’époque, les ordinateurs étaient conçus uniquement pour un usage scientifique. Les gens ont dû être convaincus pour les utiliser à des fins personnelles. En 1977, les ventes d’ordinateurs personnels ont atteint 48 000 unités. En 1993, c’était 152 millions. Je me rappelle encore des utilisations limitées de mon Mac SE/30: quelques dessins, un traitement de texte, quelques sons d’alertes. Le potentiel des ordinateurs personnels n'était pas simple à saisir, car il s'agissait d'un nouveau concept. J’ai tout de même finalement trouvé une utilité: recréer un magazine à la «Nintendo Power» que je vendais à 1$/pièce. (Très) loin de faire fortune avec cette entreprise, j’avais pu exploiter une possibilité qui ne m’était pas facilement atteignable auparavant, soit la production d’un magazine en chaîne.
Flickr, le populaire service de mise en ligne de photographie, donne un bon exemple de la force que peut avoir la triade du contexte d’utilisation, des fonctionnalités et des possibilités d’un appareil. Loin d’être le meilleur appareil photo, le iPhone est désormais l’appareil photo le plus utilisé par les clients du service. C’est plutôt le fait d’avoir l’appareil avec soi pratiquement tout le temps qui en fait l’appareil le plus utilisé (contexte d’utilisation). Ou sa connexion Internet qui permet facilement la mise en ligne de photos (fonctionnalité). Ou la combinaison de ces deux éléments qui rend la mise en ligne de photographie (possibilité) tellement simple qu’elle se produit maintenant beaucoup plus fréquemment.
Le succès d’un nouvel appareil dépend donc de ses fonctionnalités et du contexte dans lequel il les accomplit.
C’est en expérimentant avec la technologie qu’on arrive à comprendre son potentiel. De plus en plus, nous voyons apparaitre des technologies avant même de savoir à quelle problématique elles répondront. Ce qui provoque une réticence à adopter une technologie c’est que les gens n’en voient pas l’utilité et ils s’exprimeront rapidement contre celle-ci. Prenons par exemple Google Glass: rarement un produit a été autant adoré et dénigré. Instinctivement, l’humain hésite devant l’inconnu et préfère le repousser.
Google Glass
Il ne faut pas voir Glass comme un appareil sorti directement de l’enfer, mais plutôt comprendre l’éventail de ses fonctionnalités. Prenons-en par exemple quelques-unes:
Tout d’abord, un accéléromètre permet de détecter les mouvements de tête de l’utilisateur. Google a donc programmé une fonction qui calcule l’angle à lequel la tête se trouve afin d’activer Glass. Un simple hochement de tête et Glass attendra vos requêtes. Pratique et très libératoire du geste répétitif d’atteindre son cellulaire dans sa poche et le déverrouiller pour voir le dernier pourriel qui a atteint votre boite de courriels.
Glass utilise un prisme sur lequel est projetée de l’information perçue par l’utilisateur, sur un fond transparent. Le fait d’avoir un fond transparent et non opaque permet de ne pas obstruer la vue de l’utilisateur et ainsi d’être présent de manière permanente dans son champ de vision. Par rapport à ce point, il faut comprendre que cet écran n’est pas dans le champ de vision de l’utilisateur, mais plus haut. Semblable à la hauteur d’une palette de casquette. La nouveauté se trouve donc par le fait de n’avoir rien à faire pour consulter de l’information, si ce n’est que de bouger son oeil.
Un autre moyen de communication réside dans la rétroaction sonore. Encore ici, vous me direz qu’il n’y a rien de révolutionnaire. Mais je vous dirai le contraire. En effet, Google s’est (probablement) rapidement rendu compte que de porter un écouteur bloquant les sons ambiants serait un frein à l’utilisation continue de son produit. Ils ont donc fait appel à la technologie de l’osthéophonie afin de transmettre le son à l’aide d’une vibration émise à l’aide d’un dispositif placé sur la branche droite de Glass. Aucun son ambiant n’est alors bloqué et cela ne crée aucun inconfort à l’utilisateur.
Pour ce qui est de la «fameuse» caméra, on peut l’activer de plusieurs manières. La moins pratique est bien évidemment d’utiliser sa main pour appuyer sur le bouton se trouvant sur la branche droite de la lunette. Assez «années 2000» comme méthode. La version vocale demande tout d’abord l’activation de la lunette, qui peut être faite seulement par un subtil mouvement de tête, puis de prononcer les mots «Ok Glass. Take a picture». C’est déjà plus pratique, mais le fait de parler seul au milieu d’une foule peut paraître un peu fou. Vient finalement la version futuriste de prendre des photos; un simple clin d’oeil. En effet, un capteur à l’intérieur de la monture permet de détecter les clignements d’oeil. En un clin d’oeil, sans même activer Glass, une photo sera prise. Regarde maman, sans les mains!
Ce sont ces petits détails qui font de l’utilisation de ce produit une expérience magique et futuriste. Comme la fois où j’ai pu afficher dans les airs des plaques d’immatriculation pour trouver le slogan de la Floride pour répondre à une question bénigne lors d’une conversation avec des collègues. Ou pouvoir débarrer la porte en arrivant chez soi les mains pleines en utilisant simplement une commande vocale. Prendre une photo d’un magnifique paysage sans lâcher la main de son enfant. Toutes ces micro interactions seront maintenant possibles grâce à ces changements technologiques.
Apple Watch
La naissance de ces nouvelles interactions ne se fera pas du jour au lendemain. Il est important d’amener celles-ci de manière progressive. De sauter directement à un appareil qui repose sur le nez des gens n’est pas ce que j’appellerais une manière lente. Par contre, sur le poignet, oui. La fameuse montre d’Apple qui n’a fait son apparition que depuis quelques mois pourrait représenter l’itération que nous voulons. À première vue, l’utilisation sera banale. Je ne crois pas que les gens verront en cet appareil le succès qu’ils demandent. Par contre, avec le temps, le nombre d’interactions sera multiplié, et je suis prêt à parier qu’il sera difficile d’enlever celle-ci à son propriétaire, comme ce l’est de nos jours pour son précieux iPhone.
Les «wearables» sont des appareils qui permettent de nouvelles possibilités de par la combinaison de leurs fonctionnalités, leur omniprésence et leurs formes d'interactions. Leur utilisation a bien été résumée dans une entrevue avec Thad Starner, professeur à l'université de Georgia Tech et directeur technique sur le projet Glass: «Reduce the time between intention and action». Il s'agit de diminuer le temps entre l'intention et l'action. Le fait de pouvoir diminuer ce temps permettra de nouvelles utilisations de la technologie, et, bien évidemment, leur adoption. C'est en mettant l’emphase sur le design créatif de solutions que nous trouverons de nouvelles utilisations et une utilité à ces nouvelles technologies.
Remerciements spéciaux: François Giard, Éric Kavanagh, Frédéric Lépinay et Alain Rochon
Professeurs à l’École de design, Université Laval
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